"L'un des inventeurs de la promotion s'appelait Edward Bernays (1). C'était le neveu de Sigmund Freud [...]. Sa famille avait immigré aux Etats-Unis où il a exercé son métier de "conseiller en communication". Il fut appelé en 1917 par le président Woodrow Wilson (2) pour siéger dans un comité dont le but était d'inverser l'opinion publique américaine et lui faire accepter l'entrée en guerre des Etats-Unis sur les champs de bataille européens. Puis, Bernays a inventé de nouvelles formes de campagnes publicitaires : il a, par exemple, permis à l'industrie du tabac de faire doubler la consommation de cigarettes en suggérant aux femmes, qui jusque-là ne fumaient pas, que la cigarette était pour elle un signe de libération, d'émancipation, de séduction. [...]. Il utilisait les théories de son oncle pour orienter les désirs inconscients des consommateurs vers le produit dont il organisait la promotion."
" Quand on lit l'ouvrage dans lequel Bernays a résumé ses idées sur la promotion - et sur la "société libérale" en général -, on a quelques raisons d'être inquiet. Le livre d'intitule Propaganda et date de 1928 (3). Bernays y explique qu'il existe des techniques pour transformer l'opinion publique en un mouvement aussi docile qu'unanime. [...]. Cela supposait que la plupart des gens [...] ne savent pas ce qu'ils font : ils préfèrent obéir, suivre le courant général [...]. Bernays dit qu'il faut donc, au-dessus d'eux, établir un "gouvernement invisible" qui orienterait tous nos désirs collectifs. Vous comprenez aisément l'aspect dangereux de cette théorie : c'est un gouvernement d'industriels qui décide par avance ce qui est bon ou pas pour la société - et l'on s'aperçoit que "ce qui est bon" pour tous l'est surtout pour les entreprises elles-mêmes."
"Si vous transposez cela au plan politique, c'est encore pire. [...]. [Hitler, par exemple], a écrit noir sur blanc que son modèle de propagande était - du moins en partie - le modèle anglo-saxon de la propagande de guerre, mais aussi de la "réclame de savon", allusion possible à la campagne pour les savons Cadum orchestrée à l'époque par Edward Bernays. Celui-ci était-il vraiment naïf lorsqu'il s'est dit choqué que son livre Propaganda ait constitué l'un des ouvrages de référence pour le ministre nazi Joseph Goebbels (4) ? Etait-il vraiment soucieux des conséquences de ses théories, qui montraient bien qu'en régime capitaliste c'est encore une autorité qui décide pour tout le monde : sans délibération, donc. [...]."
Georges Didi-Huberman : Pour quoi obéir ?, Editions Bayard, col. "Les petites conférences", 2022, pp. 47-51.
NOTES JMS :
(1) Cf. not. : https://en.wikipedia.org/wiki/Edward_Bernays ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Bernays ;
https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2007-2-page-452.htm
et https://www.radiofrance.fr/franceculture/a-l-origine-des-fausses-nouvell...
(2) Cf. not. : https://en.wikipedia.org/wiki/Woodrow_Wilson ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Woodrow_Wilson
et https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/index.php/fr/woodrow-wilson
(3) Cf. not. : https://en.wikipedia.org/wiki/Propaganda_(book) ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Propagande_(livre) ;
https://www.babelio.com/livres/Bernays-Propaganda--Comment-manipuler-lop...
et https://www.babelio.com/livres/Chomsky-Propagande-medias-et-democratie/3...
(4) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Goebbels
et https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2009-4-pa...