drague

"C'est fou le pouvoir de diversion d'un homme que son travail ennuie, intimide ou embarrasse : travaillant à la campagne (à quoi ? à me relire, hélas !), voici la liste des diversions que je suscite toutes les cinq minutes : vaporiser une mouche, me couper les ongles, manger une prune, aller pisser, vérifier si l'eau de robinet est toujours boueuse (il y a eu une panne d'eau aujourd'hui), aller chez le pharmacien, descendre au jardin voir combien de brugnons ont mûri sur l'arbre, regarder le journal de radio, bricoler un dispositif pour tenir mes paperolles (1), etc. : je drague."

"(La drague relève de cette passion que Fourier appelait la Variante, l'Alternante, la Papillonne.)" (2)

Roland Barthes : Roland Barthes par Roland Barthes, Ed. du Seuil, col. "écrivains de toujours", 1975, p. 76.

NOTE JMS :

(1) Sur le plan littéraire, les paperolles sont de petits morceaux de papier pliés et collés sur une page afin de modifier et de compléter le texte initial. Ce ne sont donc pas des hypertextes (dont la lecture est complémentaire, mais indépendante), puisqu'ils renvoient à l'ouvrage en cours en tant que non encore définitivement achevé. Ce mot est surtout évoqué à propos de la manière de travailler de Marcel Proust.

L'informatique rend aujourd'hui caduque cette pratique d'un autre temps qui finit par faire, elle aussi, figure de madeleine.

Ajoutons ici que les paperolles sont des documents important pour comprendre la genèse d'une oeuvre (cf., à ce sujet, la génétique textuelle comme étude de ce processus).

(2) A l'opposé de ce qu'écrit ici Roland Barthes, on trouve la locution latine : "Age quod agis" : "Fais ce que tu fais". Sois attentif à ce que tu fais. Conseil que l'on donne à une personne qui se laisse distraire par un objet étranger à son occupation. Pages roses du Petit Larousse illustré, Larousse, 2013, p. 1224.

BIBLIOGRAPHIE DE LA NOTE 1 :

Pierre Bayard : Le Hors-sujet. Proust et la digression, Ed. de Minuit, col. "Paradoxe", 1996, 192 p.