"De toutes les expositions sur la première guerre mondiale, celle proposée par le Musée d'histoire de Francfort est sans doute l'une des plus petites... mais des plus originales (1). A partir d'une quinzaine de photos de soldats africains détenus en Allemagne, cette exposition s'intéresse aux liens entre "science et propagande pendant la Grande Guerre". [...]."
"Les cinq Africains photographiés de face et de profil et les cinq spahis algériens ne sont pas pris dans des positions humiliantes. Certains ont, au contraire, plutôt fière allure. [La] précision toute scientifique et l'ambiguïté qui se dégage de ces portraits ne doivent rien au hasard mais symbolisent parfaitement le regard que les Allemands portaient sur eux."
"Car une fois faits prisonniers, les Africains qui combattaient dans les rangs français eurent droit à un traitement particulier. Presque un traitement de faveur. Ils eurent même droit à deux camps construits à leur intention au sud de Berlin où ils retrouvèrent les prisonniers de l'Empire britannique des Indes et les combattants musulmans d'Asie centrale et du Caucase. Une grande mosquée - la première d'Allemagne - fut même construite dans le camp de Wünsdorf, à une quarantaine de kilomètres au sud de Berlin en 1915."
"Pourquoi tant d'attention ? Parce que l'Allemagne, alliée à la Turquie, fomentait un ambitieux projet : endoctriner les prisonniers pour que les musulmans se retournent contre la Russie, la France et la Grande-Bretagne et que les empires coloniaux finissent par handicaper les métropoles."
"Pour ce "printemps arabe" qu'elle appelait de ses voeux, l'Allemagne ne lésina pas sur les moyens. A partir de 1915, elle publia même deux fois par mois El Dschihad, un journal gratuit diffusé à 15 000 exemplaires dans les camps qui, en trois langues - l'arabe, le tatar et le russe -, appelait à la guerre sainte contre Moscou, Paris et Londres."
"[Par contre], à partir de 1917 [...], on ne compte plus les cartes postales et les affiches réduisant la "grande armée" française à une troupe de singes ou de sauvages. Après la guerre, lorsque les troupes françaises - dont en moyenne 25 000 soldats venus des colonies - occupaient la Rhénanie, la propagande allemande se déchaîna contre la "honte noire", ces soldats accusés de violer les femmes et d'égorger les enfants."
"[...]."
Frédéric Lemaître : Quand l'Allemagne appelait au "djihad" contre la France, article paru dans le journal Le Monde du vendredi 26 septembre 2014, p. 15.
NOTE JMS :
(1) Portraits de prisonniers. Science et propagande pendant la Grande Guerre. Musée de Francfort. Fahrtor 2 (Römerberg), Francfort. Du 11 septembre 2014 au 15 février 2015. L'exposition est traduite en anglais et en français, mais le catalogue d'exposition est écrit uniquement en allemand.