repentance

"Il n'est pas sûr que, dans la conscience collective de l'Europe, l'esclavage des Nègres et la colonisation aient jamais véritablement été considérés, d'un point de vue moral, politique et juridique, comme des crimes. Il y eut certes, à l'époque, des hommes et des femmes de bonne volonté, ou des mouvements qui s'élevèrent contre ces atrocités. Je pense en particulier à quelques figures connues, aux mouvements abolitionnistes, aux différentes organisations philanthropiques, voire à des partis ouvertement anticolonialistes. Mauvaises consciences de leur temps, ils étaient cependant bien isolés, à contre-courant du sens commun. Car il faut savoir que pour que l'esclavage des Nègres et la colonisation soient admis dans la culture comme des choses naturelles, il a fallu entreprendre un énorme travail visant à inculquer à l'Européen ordinaire l'idée selon laquelle ces gens étaient différents ; et que la violence à laquelle ils étaient soumis n'était guère scandaleuse ; qu'elle visait en réalité leur bien. Des dispositifs ont été mis en place, dont la fonction était d'accoutumer les Européens au racisme. L'histoire de ces dispositifs, de cette socialisation et de cette accoutumance au racisme est très peu connue, et rares sont ceux qui s'y intéressent. Alors, aujourd'hui, on entend dire ça et là, y compris dans les milieux dits "de gauche", qu'il faut en finir avec la repentance. La vérité est qu'à supposer qu'il y ait jamais eu d'appel à la repentance, personne ne s'est jamais en réalité repenti parce qu'au fond, on a toujours estimé qu'il n'y avait aucune raison de le faire. Ce qui me frappe, par conséquent, c'est le déni de responsabilité ; le poids de l'ignorance et la force de l'indifférence. [...]."

Achille Mbembe (1) in : La Vie Le Monde "L'histoire de l'Occident. Déclin ou métamorphose ?", VIIe partie Le déclin de l'Occident ? (Hors-série n° 11, 2014, p. 174).

NOTE JMS :

(1) Professeur d'université né au Cameroun en 1957. A notamment publié De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine (Karthala, 2000), Sortir de la grande nuit. Essai sur l'Afrique décolonisée (La Découverte, 2010) et Critique de la raison nègre (La Découverte, 2013).