"NEGRITUDE n. f. (v. 1933) a été répandu par L.-S. Senghor pour désigner la spécificité noire, surtout psychologique et culturelle."
"Témoin des classifications raciales européennes datant de l'expansion coloniale de l'Europe, à partir du XVIe s., puis de l'exploitation de la main-d'oeuvre africaine, surtout au XVIIIe s., [la] série de mots [déclinée à partir du mot nègre], à l'exception de négritude, est fortement connotée. Déjà au XVIIIe s., l'emploi de nègre chez les philosophes, qui étaient anti-esclavagistes, est marqué par une gêne sensible ; au XIXe s., nègre et ses dérivés sont de plus en plus ressentis comme racistes. Il faut attendre l'emploi du mot par les Noirs eux-mêmes, surtout à partir de 1930, pour assister à une valorisation marquée, qui n'exclut pas les connotations racistes dans le discours des Blancs. Cette situation rend l'emploi du mot, par rapport à noir, très délicate en français contemporain. Les emplois figurés et les dérivés eux-mêmes sont parfois évités."
LE ROBERT. Dictionnaire historique de la langue française (sous la direction d'Alain Rey), Dictionnaires LE ROBERT, Paris, 1992.
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"Imaginez Victor Hugo refusant de remettre les pieds en France après la chute de Napoléon III ! C'est ce jeu-là qu'inflige l'écrivain René Depestre (1) à l'île qui lui donna le jour en 1926 : Haïti (2). Depestre épousa la négritude en se frottant à Césaire, le surréalisme en rencontrant Breton, la révolution en emboîtant le pas à tout ce que la planète comptait de théoriciens et de guérilleros. De 1959 à 1978, il échoue à Cuba, le temps de constater que non seulement la négritude a été pervertie en Haïti par les dictateurs Duvalier (3) mais que la révolution a subi le même sort, de Moscou à La Havane, entre les mains de tyrans rougeâtres."
"Alors Depestre se fixe en France, dans sa thébaïde (4) de Lézignan-Corbières (5), entre Narbonne et Carcassonne, pour enfin être lui-même et tout recoudre grâce à l'écriture. Sa révolution et sa patrie seront désormais la seule proie de sa flamme intérieure, comme en témoigne Hadriana dans tous mes rêves (prix Renaudot 1988) (6)."
"Or Haïti ne l'a pas oublié. Là-bas, on le considère comme une sorte de "Che Rimbaud", prêt à rugir à nouveau sa "colère en crue". Tout le documentaire repose sur ce malentendu : une envoyée de l'île réclame à l'écrivain de revenir. Depestre pouffe ses "non possumus" (7) face aux plus aimables et altissimes sollicitations : le président Aristide (8) lui-même entreprend de le harceler au téléphone, sous l'objectif de Jean-Daniel Lafond (9). Car le réalisateur est aussi allé filmer le "natif natal" de l'écrivain, sa petite ville de Jacmel (10) et bien d'autres correspondances à propos d'un exilé qui se proclame "nomade enraciné". [...]."
Antoine Perraud : encadré Télérama (n° 2482 du mercredi 6 août 1997, p. 81) relatif au documentaire de Jean-Daniel Lafond : Haïti dans tous nos rêves (Canada, 1995, 54 mn).
NOTES JMS :
(1) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/René_Depestre, https://www.bib.ens.fr/Rene-depestre.490.0.html, https://journals.openedition.org/conflits/18265, https://journals.openedition.org/gradhiva/261, https://www.franceculture.fr/personne-rene-depestre.html et https://www.poemes.co/rene-depestre.html
(2) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Haïti
(3) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Duvalier
(4) Cf. not. : https://fr.wiktionary.org/wiki/thébaïde
(5) Cf. not : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lézignan-Corbières et https://www.lezignan-corbieres.fr
(6) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hadriana_dans_tous_mes_rêves
(7) "Nous ne pouvons pas" : "Réponse de saint Pierre et de saint Jean aux grands prêtres, qui voulaient leur interdire de prêcher l'Evangile (Actes des Apôtres, IV, 19-20). Ces mots s'utilisent pour exprimer un refus sur lequel on ne peut revenir. S'emploie aussi substantivement : Opposer un non possumus." (pages roses du Petit Larousse illustré, Larousse, 2013).
(8) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Bertrand_Aristide
(9) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Daniel_Lafond, https://www.gg.ca/fr/la-biographie-de-jean-daniel-lafond et https://data.bnf.fr/fr/12617593/jean_daniel_lafond
(10) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacmel et https://journals.openedition.org/insitu/13721