Europe

"Pendant toutes ces années de folie collective et d'autodestruction, je pense avoir vu tout ce qu'un homme peut voir : des populations jetées sur les routes, des enfants jetés dans la guerre, des vainqueurs et des vaincus finalement réconciliés dans les cimetières que leur importance a élevé au rang de curiosité touristique. La paix revenue, j'ai visité les mines. J'ai vu la police chargé des grévistes. Je l'ai vu aussi chargé des chômeurs. J'ai vu la richesse de certaines contrées et l'incroyable pauvreté de certaines autres. Eh bien, durant toutes ces années, je n'ai jamais cessé de penser à l'Europe."

"Monsieur Chalamont a passé, lui, une partie de sa vie dans une banque à y penser aussi. Nous ne parlons forcément pas de la même Europe."

Emile Beaufort (Jean Gabin) dans Le Président, d'Henri Verneuil (1961), d'après le roman éponyme de Georges Simenon.

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Propos de Patrick Boucheron recueillis par Gilles Heuré pour le Télérama n° 3399 (semaine du 7 au 13 mars 2015), p. 6.

G.H. : "Quel enseignement l'historien peut-il apporter dans la compréhension dans la crise que traverse l'Europe ?"

P.B. : "Parler de la crise de l'identité politique européenne ? Elle n'est qu'une des conséquences de la catastrophe en cours, qui se joue au niveau mondial : on assiste impuissant à la dévastation du monde réel au nom d'une domination virtuelle. Face à cette liquidation financière, écologique mais aussi virtuelle - voyez comment le complotisme se nourrit de la virtualisation de l'information -, que faire ? Défendre ce à quoi nous tenons, c'est-à-dire à des formes désirables de vie, exige de rappeler obstinément les droits du réel. Pour les historiens, cela signifie : tenter de dissiper les constructions imaginaires, briser le piège identitaire. C'est difficile, car on s'attaque alors à ce que Nietzsche a désigné comme un venin : la passion que l'histoire a placé dans nos vies, la croyance que l'origine a toujours raison sur le présent. Cette passion autorise tous les âges d'or, potentiellement meurtriers. S'il y a un contrepoison à cet envoûtement, il est également à trouver dans l'histoire, [...] une histoire comme art des discontinuités, s'attardant sur les moments faibles, variant ses points de vue."

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"Quittons cette Europe qui n'en finit pas de parler de l'homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde."

Frantz Fanon (1)

NOTE JMS :

(1) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Frantz_Fanon ; https://www.babelio.com/auteur/Frantz-Fanon/3286 ; https://www.cairn.info/revue-sud-nord-2007-1-page-147.htm ; https://www.franceculture.fr/personne-frantz-fanon.html et https://www.franceculture.fr/histoire/frantz-fanon-contre-toute-alienation

SOURCE :

Encadré Télérama consacré au documentaire d'Audrey Maurione et Mathieu Glissant : Frantz Fanon. Trajectoire d'un révolté (France, 2021, 55 mn). 

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"Européen, je le devins politiquement en 1973, quand je découvris que l'Europe dominatrice du monde et puissance coloniale inhumaine était devenue une pauvre vieille chose qui avait perdu ses colonies et ne pouvait survivre que sous perfusion  du pétrole moyen-oriental. Mais mes espoirs européens se dégradèrent avec la subordination des institutions européennes aux forces techno-bureaucratiques puis financières. Enfin, les divergences entre les ex-démocraties populaires et les nations fondatrices, la pression destructrice des autorités de l'Union européenne sur le gouvernement grec de Tsipras (1), et l'attitude générale à l'égard des migrants d'Afghanistan et de Syrie achevèrent de me décevoir."

"Ce souhaite que ce qui subsiste ne se désintègre pas, mais j'ai perdu foi en l'Europe."

Edgar Morin : Leçons d'un siècle de vie, Denoël, 2021, chap. I, L'identité une et multiple, pp. 16-17.

NOTE JMS :

(1) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Aléxis_Ts%C3%ADpras et https://www.franceculture.fr/personne-alexis-tsipras