"Toute traduction reste morte et son style contraint, raide, affecté. Ou alors elle se libère, c'est-à-dire elle se contente d'un à peu près (1) - elle est donc fausse. Une bibliothèque de textes traduits ressemble à une galerie de peintures où il n'y a que des copies."
Arthur Schopenhauer : Die Kunst zu beleidigen, Verlag C.H. Beck, oHG, München, 2002 (L'art de l'insulte, Ed. du Seuil, 2004, pour la trad. française par Eliane Kaufholz-Messmer, p. 155).
NOTE JMS :
(1) La traductrice signale que l'expression est en français dans le texte de Schopenhauer.
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"Traduttore, traditore"
Traducteur, traître.
Aphorisme italien qui signifie que toute traduction est fatalement infidèle et trahit par conséquent la pensée de l'auteur du texte original.
Les pages roses du Petit Larousse illustré 2014, Larousse, 2013, p. 1231.
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"Jour d'investiture à Washington, le 20 janvier 2021. Le président élu, Joe Biden, fait l'événement lorsque Amanda Gorman (1), 22 ans, lui vole la vedette. Coiffée de rouge et vêtue de jaune, la jeune poétesse afro-américaine vient à la tribune lire son texte, The Hill we climb (2) [...]. Les spectateurs sont sous le choc. Tout en elle les enchante : la beauté de ses vers, la grâce de ses gestes, l'assurance de sa voix. Sa performance tourne en boucle sur l'Internet planétaire. En Europe, le monde littéraire se mobilise. C'est à qui pourra acquérir les droits de son recueil de poèmes."
"[...]. Mais [...] la polémique [...] s'abat sur le monde littéraire. Elle a pour toile de fond l'affrontement qui oppose essentialistes et universalistes (3). Les premiers revendiquent une égalité de traitement au nom de leurs spécificités. Pour eux, une Noire doit donc être traduite par une Noire (4). Les seconds pensent l'être humain indépendamment des notions de genre ou de couleur de peau. Des singularités qui n'ont, par conséquent, pas à interférer avec la liberté de création. Vaste débat qui remet en question la capacité de l'art à transcender les différences. [...]."
"L'affaire Amanda Gorman devient donc le dernier symptôme en date d'une société clivée entre Blancs et non-Blancs, hommes et femmes, dominants et dominés. Traducteur [...] de Pouchkine et de Shakespeare, André Markowicz (5) défend son droit inaliénable à traduire ce qu'il veut, sauf "s'il en est incapable". [...]. Et cache moins que jamais son agacement face à "l'introduction par les antiracistes d'a priori racistes dans ce qui devrait être un débat littéraire". Guère optimiste, il voit dans les revendications identitaires [...] un repli sur soi inquiétant. Il dénonce "l'enfermement croissant sur des racines [...]" et tire la sonnette d'alarme : "Ce néo-antiracisme perpétue l'oppression en proclamant la nécessité d'un développement séparé entre Blancs et Noirs."
" "[...]. Si seule une personne correspondant point par point peut traduire un poétesse noire américaine, alors il faut procéder de la sorte pour tout le monde. Or notre métier consiste à faire l'inverse. Traduire, c'est aller chercher l'altérité de l'auteur, en essayant de la comprendre et de la rendre", nous dit Olivier Mannoni, traducteur de l'allemand (6). Des mots frappés au coin du bon sens mais qui ont peu de chance de se frayer un chemin dans le climat actuel. "Nous vivons une époque de réaction dans laquelle des valeurs qu'on pensait émancipatrices sont accueillies comme des valeurs coloniales, alors que d'autres, que nous combattions, deviennent des emblèmes de liberté", regrette André Markowicz. [...]. Pour les uns, la traduction des écrits d'Amanda Gorman par une Blanche prouve que rien n'est fait pour mettre un terme à l'invisibilité des minorités. Pour les autres, son refus a pour conséquence de réduire la jeune femme à sa couleur de peau. "Le plus grave est de ramener l'auteur au contexte, cela signifie que cette poétesse n'est pas poétesse mais que son message se limite à son statut social", déplore ainsi Olivier Mannoni."
"Une menace se profile : si seul un Noir est légitime pour traduire les écrits d'un Noir, alors seuls des Blancs doivent être cooptés pour traduire les textes des Blancs. Mettre le doigt dans l'engrenage de la préférence et de son corollaire, l'exclusion, est une pente dangereuse. [...]. [Tania de Montaigne (7)] se méfie des solutions qui, profitant à quelques-uns, laissent les autres à la porte. Pour elle, l'égalité, point de départ des relations, ne saurait composer avec la domination d'une singularité, quelle que soit cette dernière : "[...] dire à quelqu'un qu'il ne peut pas faire le boulot parce qu'il n'est pas du même sexe ou de la même couleur que la personne à traduire, c'est de la discrimination puissance mille." "
"[...]."
Joëlle Gayot : Jamais mieux traduit que par les siens ? in Télérama 3722 du 12 mai 2021, pp. 22-25.
NOTES JMS :
(1) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Amanda_Gorman ;
et https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/le-phenomene-amanda-gorman
(2) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Hill_We_Climb et https://blogs.mediapart.fr/bertrand-rouzies/blog/220121/hill-we-climb
(3) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Universaux ; https://viamoderna.hypotheses.org/1136 ;
https://www.cairn.info/magazine-les-grands-dossiers-des-sciences-humaines-2019-12-page-6.htm ;
https://www.babelio.com/livres/Libera-La-querelle-des-universaux/914983
(4) Ce qui n'est pas le positionnement d'Amanda Gorman, qui avait avalisé le projet de traduction en néerlandais de son recueil de poèmes par Marieke Lucas Rijneveld, autrice blanche, pour le compte de l'éditeur Meulenhoff.
(5) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/André_Markowicz et https://www.franceculture.fr/personne/andre-markowicz
(6) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Mannoni ; https://www.babelio.com/auteur/Olivier-Mannoni/67702 ;
https://oliviermannoni.monsite-orange.fr et https://www.franceculture.fr/personne-olivier-mannoni.html
(7) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tania_de_Montaigne ; https://www.babelio.com/auteur/Tania-de-Montaigne/118626
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"En faisant le lien entre deux langues, il leur arrive d'être pris entre deux feux : les traducteurs courent le risque de devenir des cibles en temps de guerre. Une situation douloureuse dont cette fiction ne parvient pas à montrer toute la complexité en imaginant le sort d'un Syrien contraint de fuir son pays après avoir fait une gaffe de traduction au moment de l'arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad (1). L'intérêt se déplace vers une reconstitution des faits qui ont marqué, en 2011, le début de la guerre civile en Syrie (2). Tourné en Jordanie (3), ce premier film raconte alors de façon convaincante la folie d'un pays qui se retourne contre son peuple."
Frédéric Strauss : encadré Télérama consacré au film de Rana Kazkaz et Anas Khalaf : Le Traducteur (Syrie/France/Suisse, 2020, 1h40mn).
NOTES :
(1) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bachar_el-Assad ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Bachar_al-Assad ;
https://www.actes-sud.fr/node/65826 ; https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2012-3-page-83.htm
et https://www.europe1.fr/dossiers/bachar-al-assad
(2) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_syrienne ; https://www.lhistoire.fr/carte/15-mars-2011-début-de-la-guerre-civile-syrienne
et https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-6-page-66.htm
(3) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jordanie
(4) Cf. not. : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Traducteur_(film)
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"[Stéphane Mallarmé (1)] est intraduisible. Même en français."
Jules Renard
NOTE JMS :
(1) Sur le plan bibliographique, cf. not. sur ce site : https://jmsauvage.fr/lettres-philosophie-sciences-humaines/mallarme
SOURCE :
Laurence Caracalla : 100 réparties de légende, Le Figaro littéraire, oct. 2024, p. 72.