"Plus la société devient totalitaire, plus l'esprit y est réifié et plus paradoxale sa tentative de s'arracher à la réification par ses propres forces. Même la conscience la plus radicale du désastre risque de dégénérer en bavardage. La critique de la culture se voit confrontée au dernier degré de la dialectique entre culture et barbarie : écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est impossible d'écrire aujourd'hui des poèmes. L'esprit critique n'est pas en mesure de tenir tête à la réification absolue, laquelle présupposait, comme l'un de ses éléments, le progrès de l'esprit qu'elle s'apprête aujourd'hui à faire disparaître, tant qu'il s'enferme dans une contemplation qui se suffit à elle-même."
Theodor W. Adorno : Prismes. Critique de la culture et société, Payot, 1986, p. 23. Trad. Geneviève et Rainer Rochlitz.