monochrome

"[...] en prenant finalement conscience qu'il n'y pouvait rien, du moins qu'il n'était pas coupable de sa propre inexistence, [le Grülp] se ressaisit et décida d'orienter sa vie autrement [...] et chercha s'il ne pouvait pas se rendre utile à autrui.  Ainsi se rendit-il à Paris, dans l'atelier du peintre Clixorin. Aussitôt que celui-ci l'aperçut dans l'embrasure de la porte, il s'écria : "Tu arrives à point nommé ! C'est bien toi la couleur que j'ai toujours cherchée. Il lui aménagea un petit lit douillet sur la palette et peignit toutes ses toiles avec le seul Grülp. Comme ce dernier absorbait beaucoup d'huile et qu'il demanda un jour à Clixorin s'il pouvait également lui donner du vinaigre, le peintre lui répondit : "Non, non, tu es une couleur, pas une laitue." Sur quoi le Grülp se contenta d'être bien heureux d'avoir été tout de même reconnu en tant que couleur. Nul en revanche ne voulut acheter les toiles, car, enfin, aucun être humain ne voudrait posséder une oeuvre peinte d'une seule couleur. Du  reste, Clixorin, qui ne voulait pas se séparer d'elle, devenait toujours plus maigre et finit par en mourir. [...]."

Georg Simmel (1) : L'Histoire de la couleur (Das Märchen von der Farbe) in Niele Torini : L'Histoire de Lapin Tur, suivi de L'Histoire de la couleur, de Georg Simmel, Ed. Allia, 2010, 2017, pp. 20-21. Traduit de l'allemand par Lionel Duvoy.

NOTE :

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Georg_Simmel