dépucelage

- Daniel : "Des garçons fréquentant le café, il était le seul étudiant. J'avais réfléchi, je voulais lui parler."

- Daniel au garçon : "Tu vas au lycée ?"

- Le garçon : "Oui."

- Daniel : "Tu as déjà passé le bac ?"

- Le garçon : "Non, à la fin de l'année."

- Daniel : "C'est très important ? Que peut-on faire après ?"

- Le garçon : "Avec le bac seul, pas grand chose. Il permet de continuer les études."

- Daniel : "Après le bac, il y a quelque chose ?"

- Le garçon : "L'université, les grandes écoles."

- Daniel : "Les grandes écoles, qu'est-ce que c'est ?"

- Le garçon : "Des écoles qu'on appelle comme ça. Tout le monde ne peut pas y aller."

- Daniel : "Pourquoi ? Seuls les plus forts ont le droit ?"

- Le garçon : "Pas seulement les plus forts, les plus pistonnés surtout."

- Daniel : "Dis-moi, si je travaille seul chez moi, sérieusement, rigoureusement, avec des livres, les livres qu'il faut, je pourrais m'y présenter ?"

- Le garçon : "Oui, tout est permis."

- Daniel : "Mais est-ce possible, vraiment ?"

- Le garçon : "Possible, mais difficile. y'a des matières que l'on apprend que par cours. Et les langues étrangères, très difficile aussi."

- Daniel : "Ah oui ! Les langues étrangères. Ca devrait être quand même possible. Dans un livre que j'ai lu, dans un livre que j'ai lu, le type parle de ses années d'école. Et il dit que quand il avait quinze/seize ans, il était gêné par son professeur de français. Il ressentait comme un malaise parce qu'il voyait que le professeur parlait de la passion dans les pièces de Racine et Corneille, il disait la même chose chaque année, il faisait le même cours, et qu'après tant d'années, les mots qu'il disait n'avaient plus de sens, plus de coeur, et qu'en fin de compte, ce professeur a été le dernier à pouvoir parler de ça. Bien sûr, il les avait lus, apprises, mais il ne les vivrait jamais. Alors que lui, l'élève, sentait déjà qu'il allait vivre ces passions-là, ou des semblables. Qu'est-ce que tu en penses ?"

- Le garçon : "Je pense que tu pourrais d'abord commencer par te dépuceler la bouche. [...]."

in Mes petites amoureuses, de Jean Eustache (France, 1974, 2h03mn) (1).

NOTE JMS : 

(1) Pour les références du film et de son réalisateur, cf. sur ce site : https://jmsauvage.fr/dictionnaire-des-citations/respiration