bourrage de crâne

- [...]. J'marche pas dans leur bourrage de crâne, moi, vous savez."

- Oui, dis-je. Vous avez bien raison, il ne faut marcher dans aucun bourrage de crâne."

- Moi j'lis, dit-il. J'ai d'l'instruction et de la lecture."

- Oui, dis-je."

- Je ne m'en cache pas, dit-il. Je n'ai pas peur de le dire. Je suis un bon Français, mais ça n'empêche pas que je me demande qu'est-ce qu'on va faire dans cette guerre pour des Polonais qu'on a seulement jamais vus."

- Peut-être qu'ils n'existent même pas ? dit Maurice. Peut-être même que c'est un nom qu'on a inventé comme ça rien que pour nous faire marcher ?"

"L'homme se mit à rire."

"Vous alors, vous êtes marrant. J'vois ce que vous êtes. Eh bien, je vais vous dire, moi : qu'est-ce qu'on en a à foutre de la Pologne, hein ? Je vais vous dire : cette guerre c'est les Anglais qui nous obligent à la faire, c'est le capitalisme anglais et les juifs !"

- Comme vous dites, dit Maurice (1). Ces sales youpins !"

- Pas de danger que vous trouviez un Anglais là où c'est qu'on se fait tuer, dit l'homme. On l'a bien vu en quatorze. Et pas de danger non plus que vous voyiez un de ces youpins avec ce que vous avez sur le dos. Sont tous à l'arrière à se remplir les poches pendant que vous êtes là à faire le zouave."

- Le dragon, dit Maurice. Il paraît que nous sommes un régiment de dragons. Ca n'en a peut-être pas l'air, comme ça, à première vue, parce qu'on est un peu mouillés et qu'on ne crache pas le feu. Mais ça ne fait rien : je suis bien d'accord, zouave ou dragon vous ne verrez jamais un youpin assez bête pour..."

"[...]."

Claude Simon : Le cheval, les Editions du Chemin de fer, 2015, pp. 32/33.

NOTE JMS :

(1) Dans le texte de Claude Simon, Maurice est juif.